
THEATR M


PRODACTION / AGENCE CREACTIVE
(nom, singulier) : Plaque tournante de la création contemporaine.
Fides allume les bougies, et progressivement le siège de l'archevêché de Split s'illumine, douze ans après la première apparition. En finissant avec les bougies, elle approche dans une beauté mature d'un ventripotent Dominis qui écrit à table, pris par des pensées agitées.
FIDES : Marco... (Plus fort) : Marco ! Tu dois te préparer pour la réception. L'envoyé du pape arrive du port jusqu'ici. (Sans réponse. Elle apporte la mitre et le manteau pour qu'il les revête). Il griffonne et griffonne, comme si une coiffe rouge allait lui germer, mais le Saint-Office la déracinera avant...
DOMINIS (il se retourne) : Ah ?
FIDES (elle grimace) : Ah !
DOMINIS : Que caquettes-tu?
FIDES : Ta plume d'oie te plumera.
DOMINIS : Que comprends-tu à cela, espèce d'oie ?!
FIDES (de mémoire) : Non sine aliqua democratiae admixtione ecclesiam ipsam gubernare, et consequenter...
DOMINIS (stupéfait) : Tu te mêles de latinité ?
FIDES : ...et consequenter Petri primatum, seu papatum, ostendo cum euvangelio et Christi institutione plurimum pugnare.
DOMINIS : Ma phrase ! (Il cherche dans ses manuscrits).
FIDES : La tienne. Punctum ! La vérification est superflue.
DOMINIS : Tu apprends par cœur ce que j'écris ?
FIDES : Quelque chose où tu mentionnes le pape ou le primat, comme ici, contraire à l'Évangile.
DOMINIS : Petit singe ! Pourquoi as-tu appris cela par cœur ?
FIDES : Pour vanter mon érudition.
DOMINIS : Devant qui ?
FIDES : Devine !
DOMINIS : Devant les jésuites ? (Sans réponse). Fides ! Que dois-je penser de toi ?
FIDES (durement) : Ce que tu penses.
DOMINIS (surpris) : Je t'ai offert une confiance totale.
FIDES : Dans ton cadeau, Marco, était enveloppée ton obstination, ton insouciance ; alors que j'étais menacée par nos péchés.
DOMINIS : Absurdité ! Je t'ai pris comme femme.
FIDES : Comme femme ?! Comme femme ?! Toi, entêté, tu n'étais pas aussi honnête et courageux que Luther qui a épousé une abbesse.
DOMINIS : Tu sais, ce sacrement n'a jamais voulu dire grand chose pour moi.
FIDES : À toi non, mais moi, contrevenante, il me livrait...
DOMINIS : J'étais ton patron, votre chef !
FIDES : Un fantôme ! Tu savais à qui je devais obéissance.
DOMINIS : Le saint ordre ?
FIDES : L'unique, l'absolu pouvoir sur nous tous, archevêque.
DOMINIS : Et tu leur as obéi toujours tant que tu étais à leur service ? Tu as informé le confesseur précédent ? (Sans réponse). L'ordre jésuitique ! Tu m'as préparé le lit de Dalila. Quand je m'enfonçais dans les rêves les plus secrets, j'ai découvert l'oreille de l'office, n'est-ce pas, mon amour ?
FIDES : Je t'aimais, Marco, tout ce long temps...
DOMINIS : Tout le temps, même dans le confessionnal des jésuites ?
FIDES : Alors, le plus, parfois pleine de haine contre toi. Pour toi, c'était confortable dans ton siège métropolitain. Tu jouais les patrons, et tu te conduisais comme un maître avec moi.
DOMINIS : Tes relations avec les jésuites sont troubles et dangereuses.
FIDES : Tout ici est trouble et dangereux. Sois content que le saint ordre nous permette de vivre dans le péché. Je n'ai de valeur pour eux qu'à hauteur de ton importance. Si tu tombes... (Dans un accès de terreur). Je t'en prie, Marco, brûle ce manuscrit avant que l'Inquisition ne frappe à notre portail. Et de toute façon, la censure ne le laissera jamais passer. Détruis l'accusation portée contre toi !
DOMINIS : Douze étés de silence mûrissent dans ces feuilles. Lorsque j'ai fermé la bouche sur l'ordre du pape, les décrets de l'office romaine, la bêtise alentour...
FIDES : Oui, chéri, tu as saisi cette pique avec laquelle tu vas toi-même plus profondément te saigner. Je t'en prie, jette dans le feu cette liasse de jurons !
DOMINIS : Si je faisais cela, je perdrais le dernier fondement humain de tous mes reculs.
FIDES : De tes fondements te guette... (Elle s'arrête sinistrement).
DOMINIS : Qu'est-ce qui me guette ?
FIDES : Mon Dieu, comme ce qui attend les apôtres. L'un la croix, le second un poignard dans le dos, le troisième le poison.
DOMINIS : Oui, il y a ici suffisamment de bandits pour le poignard. Et une main proche pourrait bien me tendre un verre de poison.
FIDES (durement) : Veux-tu qu'ils me forcent à cela ?
DOMINIS (il saisit sa main avec colère) : La froideur de la mort circule dans ces belles mains. Un corps que gère une volonté étrangère et terrible. Dans ce cadavre blanc survit encore un désir pourtant déjà gâté du parfum des chrysanthèmes mortuaires. Un désir qui se transforme en frénésie de destruction. Qui sait si tu ne me tendras pas un soir la cruche funéraire. Ton rachat peut-être. Le plus horrible dans tout cela, c'est que je ne peux pas te mépriser ni te repousser. (Il l'enlace résigné).
Des pas et un bruit de voix. Un groupe de prêtres arrive ; parmi eux, l'archidiacre, le chanoine Petar, Divjan et Ignace, tous vieillis. Fides s'extrait des bras de Dominis.
L'ARCHIDIACRE : Excellence ! Nous avons salué sur la galère l'envoyé du pape.
LE CHANOINE PETAR : Le jésuite ! Le général désigné, disent-ils.
DIVJAN (il grommelle) : Les jésuites... ils se sont accaparé les meilleures places autour du Saint-Siège. Que veut ici leur chef désigné ?
IGNACE : La corruption s'est emparée de notre évêché.
DIVJAN : Et où n'est-ce pas le cas ? Est-ce dans la douce curie ?
IGNACE : Ici, à la frontière, on exige une plus grande rigueur religieuse. Comment peut-on imposer la discipline alors que le vicaire du Saint-Père néglige les services religieux, ne respecte pas les saints sacrements ?
DIVJAN : Tu entends, archevêque, les jésuites ont réussi à te frictionner la tête.
IGNACE : Notre diocèse est au bas de la citadelle turque. Le métropolitain doit avec nous, les pères, fortifier l'unité catholique et le sacrifice martyr.
DOMINIS (il sort de son silence) : Toi, Ignace, tu as grandi sur ce reste des restes, tout comme moi, et immédiatement tu as compris que moi seul, le primat croate, de mon autorité et de mon savoir, je peux reconstituer l'intégralité d'autrefois. Et toi, tu intrigues contre moi, tu détruis mes plans, tu incites mon chapitre et les évêques à la désobéissance...
IGNACE : J'ai servi l'universalité catholique qui nous élève au-dessus de tes prétentions locales, archevêque.
DOMINIS : Elle élève la métropole du pape tandis qu'elle t'avilit au rang de provincial du saint ordre.
DIVJAN : C'est exact ! Ceci n'est pas une province romaine. Nous gérerons seuls ici, selon l'ancienne loi.
IGNACE : Vous rêvez encore à votre diète ? Apostats !
L'ARCHIDIACRE (dédaigneusement) : Peine perdue !
LE CHANOINE PETAR : Qui t'a rappelé, noble Marco Antonio, de l'épiscopat dalmate ? Ils ne te reconnaissent pas comme leur primat.
DIVJAN : Que sont ces évêques ? Des étrangers, les larbins du pape, envoyés par le Vatican pour nous dépouiller et nous jeter l'anathème.
IGNACE : Vous, les culs-nus, vous nommeriez les évêques ?!
DIVJAN: Nous les choisirions, selon l'ancienne coutume.
IGNACE : Choisis parmi vous autres, tapageurs et brigands ?! Voilà, berger de Split, quel troupeau tu as élevé !
DOMINIS (sombrement) : J'ai voulu fortifier l'unité spirituelle sur ces ruines. Les forces de destruction ont été plus puissantes que moi.
L'ARCHIDIACRE : Tu as toi-même trop demandé. Tu ne t'es pas établi ici, parmi ce peuple.
DOMINIS : Je n'ai pas fait ma place ici, vous répétez ? Et pendant l'épidémie de peste, alors que vous vous êtes enfuis d'ici, les chanoines et les nobles, je suis resté avec le peuple. J'ai porté la croix à travers les rues terrifiantes et dans les banlieues, réconfortant les mourants, encourageant les affaiblis...
L'ARCHIDIACRE : Tu as fait cela par rancune contre nous, le chapitre, les nobles...
LE CHANOINE PETAR : Pour nous humilier.
IGNACE : C'est l'orgueil qui t'a maintenu dans la commune empestée, et non pas la compassion pour le peuple. Tu as poursuivi la querelle avec le chapitre, le saint ordre, les évêchés voisins et la curie.
DOMINIS : Quoi que j'ai fait, vous l'avez diffamé ; quoi que j'ai entrepris, vous l'avez corrompu. Toi, provincial jésuite, tu as monté la commune contre moi ; vous, les chanoines, vous avez pleurniché contre moi auprès du Vatican, de Venise, et vous les prêtres séculiers, qui m'aviez prêté serment, vous avez persisté dans la sauvagerie...
DES VOIX DANS LA COHUE : Archevêque, non,... Primat !... Métropolitain croate...
DOMINIS : De ce titre fier, il ne m'est resté qu'un mémento amer. Partez ! Partez ! Je recevrai seul ici l'envoyé du pape.
La foule se retire. Dominis, seul, attend l'envoyé. Finalement, Mutius arrive accompagné d'acclamations et de la garde. À son signal, tous s'écartent, et les deux hommes se dévisagent en silence.
MUTIUS : Marco Antonio ! J'ai traversé des montagnes dangereuses, j'ai traversé des mers dangereuses. Est-ce que le plus difficile sera de franchir ces sept pas qui séparent un homme d'un autre homme ? Tu te tiens comme une falaise sur cette Dalmatie naufragée. Rappelle-toi ! L'Église n'est pas érigée sur le rocher de la vertu mais sur le pardon du péché. Il n'y a rien entre nous, Marco Antonio, par quoi elle ne pourrait passer.
DOMINIS : Où je me tiens, la pureté est accessible à tous.
MUTIUS : Souviens-toi, le Sauveur ne parviendra pas seulement au vertueux arrogant.
DOMINIS : Je suis un pécheur.
MUTIUS : Sa Sainteté t'envoie son baiser paternel. (Il s'approche de Dominis et l'effleure des lèvres, dans une légère aversion mutuelle).
DOMINIS : Embrasse son anneau sacré pour moi, l'indigne !
MUTIUS : Tu en auras toi-même l'honneur. Réjouis-toi, mon frère ! Je t'apporte une convocation à Rome.
DOMINIS : À Rome ?
MUTIUS : Où se trouve le lieu de ton érudition. Nous n'avons oublié dans la métropole quel orateur et écrivain tu es. Ton esprit radieux ne doit pas s'assombrir dans cette province.
DOMINIS : C'est vous qui m'avez relégué dans cette province. Sauf votre respect, Père Mutius ! Je suis sur ma terre natale. Ici, dans le silence, je peux poursuivre des recherches.
MUTIUS : Tu fais des recherches sur la nature ?
DOMINIS : Bien sûr ! Le fait que Galilée ait élaboré le télescope, cela me pousse justement à poursuivre l'étude des lentilles optiques.
MUTIUS : Tu n'étudies pas... quelque chose d'autre ?
DOMINIS : J'étudie d'autres choses aussi, évidemment ! Quand je rédige des sermons.
MUTIUS : Tes fameux sermons, tu sais, ont causé ici de la confusion, et même des plaintes.
DOMINIS : Je me tiens à l'Évangile...
MUTIUS : Et le concile de Trente ? L'encyclique romaine ? Tu as besoin de l'aide du Saint-Père et du Collège romain pour ne pas dévier. D'ailleurs, Paul V apprécie beaucoup ton esprit et il aimerait volontiers t'avoir pour conseiller.
DOMINIS : Volontiers, après m'avoir imposé de telles taxes ?! Envoyé des réprimandes et même menacé de l'excommunication ?!
MUTIUS : Que cela ne te pousse pas au désespoir ! Le fils prodigue est le favori du père. Les meilleurs esprits se regroupent autour du Saint-Siège. De là s'administre la marche du monde. C'est aussi là qu'est ta place.
DOMINIS : Ceci est ma terre...
MUTIUS : Ce petit chiffon sous le sabot turc ? Tu es l'évêque de la plus petite et la plus pauvre commune.
DOMINIS : Je suis primat. Dalmatiae et Croatiae primas !
MUTIUS : Oh, ce titre... est mort depuis longtemps. Qui te reconnaît encore comme primat de Croatie ?
DOMINIS : Parce que depuis Rome vous dirigez les diocèses et soutenez les évêques suffragants contre mon autorité. Moi primat, quoi que je commande à mes subordonnés, l'office de la curie le modifie ou l'annule immédiatement.
MUTIUS : Tu t'es gonflé de ce titre ancien et irréel. Par Dieu, tu es ici depuis peu. Tu mérites un poste plus élevé par ton érudition et ta réputation. Tu mérites même le chapeau rouge.
DOMINIS : On n'a jamais eu confiance en moi.
MUTIUS : Avant de chercher une confiance totale, demande-toi, Marco Antonio, si tu as toi-même fait entièrement confiance au Saint-Père et à l'office. N'as-tu pas gardé certaines choses cachées ? Cela a été la source de ton ostracisme. Une pensée secrète s'est développée en toi dans un sentiment d'infraction. Et si tu t'étais confessé à nous, cela t'aurait soulagé, mon frère. Le saint ordre veut entendre la totalité des arrière-pensées et des doutes, avec plein de miséricorde dans le confessionnal. (Une pause). Les doutes visitent chaque fidèle. Et t'accablent dès que tu t'isoles. Je sais, il y a suffisamment de choses qui scandalisent les chrétiens sous la coupole de Pierre. Quand tu crèves l'un de ces doutes, le silence te déchire complètement. Seule la confession peut t'apporter la cicatrisation intérieure et, en outre, la grâce. L'Église accepte le pécheur repentant. Le pécheur repentant est le préféré du saint ordre. Un seul et unique ne sera pas sauvé... le vertueux arrogant ! Les vaisseaux de l'Église naviguent si haut que l'équipage ne le supporte pas ; et après le souffle voluptueux, les contrevenants reviennent avec un zèle encore plus ardent. Un homme ne peut pas non plus servir le Saint-Siège autrement. Avoue, mon frère, ce qui t'obsède ! Ce secret deviendra ton bourreau.
DOMINIS (fuyant) : Lorsque je suis venu me plaindre à la curie d'un tribut insupportable, dépouillé de mon droit...
MUTIUS : Tu n'as pas été entendu. Et rejeté (il désigne la table), tu t'es livré à ces papiers ?
DOMINIS (il soulève un parchemin avec un mépris amer) : La plainte à l'office papal à cause d'une surtaxe usuraire ! La plainte d'un secrétaire d'État pour le droit d'abstention dans le diocèse de Duvno ! La plainte à Paul le cinquième pour une menace d'excommunication...
MUTIUS (sombrement) : C'est ce que tu m'as préparé ?! Une plainte ! C'est bien. Tu viendras à Rome avec moi pour régler cela.
DOMINIS : Je ne le pourrais pas en ce moment.
MUTIUS : Tu ne le pourrais pas alors que le Saint-Père te convoque ?
DOMINIS : Qu'il me pardonne. Je ne peux pas partir. J'ai du travail à finir ici.
MUTIUS : Un livre ? (Sans réponse). Tu prépares un livre.
DOMINIS : Que pourrais-je imprimer sans votre imprimatur ?
MUTIUS : Toutes sortes de choses passent... D'ailleurs, nous voulons t'aider. Tu achèveras ton œuvre à Rome, sous la bénédiction du pape, du Collège romain, du Saint-Office.
DOMINIS : Merci ! Je reste ici.
MUTIUS : Tu n'es pas pour cette place.
DOMINIS : Peut-être pas.
MUTIUS : En tant que premier serviteur de Rome dans cette province, tu étais tenu de soumettre ce troupeau sauvage et de lui inculquer le foi dans le pape romain.
DOMINIS (après une courte réflexion) : Je ne veux plus être le premier serviteur.
MUTIUS (stupéfait) : Tu ne veux plus être...
DOMINIS : Un serviteur ! J'abdique.
MUTIUS : Tu abdiques du siège métropolitain ?
DOMINIS : J'ai décidé ainsi, avant ton arrivée.
MUTIUS : Tu as décidé ? Toi ?!
DOMINIS : Je rends au pape ce manteau. (Il jette le manteau aux pieds de Mutius).
MUTIUS (avec une haine enflammée) : Toi ?!
DOMINIS : Je me retire des autorités ecclésiastiques.
MUTIUS : Où ? (Frénétiquement) : Où ?! Tout appartient à l'Église. (Il le saisit par la chemise). Cette chemise aussi sur toi n'est pas la tienne. Tu n'as rien à toi. Pour chaque miette de pain, pour chaque pot de vin, pour un toit sur ta tête, remercie le saint ordre ! Tu ne peux pas te retirer de l'Église, nulle part et jamais ! Mais tu peux être dépouillé de tout et excommunié.
DOMINIS : C'est ce dont m'a déjà menacé Paul V.
MUTIUS (il se contient) : Je suis venu pour te sauver de l'anathème. Ton idée de réforme sera débattue avec bienveillance au Collège romain et dans mon office. Ce qui en sortira sera publié contre vents et marées, gloria dei et gloria patri, et en ton honneur ! (Il se retourne pour partir). Je t'attends au matin sur ma galère.
DOMINIS : Père Mutius !
MUTIUS : Lorsque Rome appelle... (Il part).
DOMINIS (à son adresse) : Adieu ! Transmets mes vœux de paix à Paul le cinquième !
MUTIUS : Tu viendras. Tu viendras.
Mutius s'en va, et du couloir s'élancent les deux frères, Mateo et Ivan, puis Capogrosso, visiblement excités par ce qu'ils ont entendu. Dominis range son manuscrit.
MATEO : Tu viendras, tu viendras, a-t-il répété, comme un cliquetis de clef dans une serrure.
IVAN : Ils ont flairé ton œuvre, maître. Il faut s'engager dans une bataille ouverte.
Le Dr Mathias surgit avec quelques nobles, lui aussi vieilli, mais aussi fanatique qu'autrefois, tous triomphants.
DR MATHIAS : Ton principat est calculé, compté ! Être archevêque, être le représentant du pape ici... c'était à tes pieds. Tu t'es enragé à édifier sur ce rempart de la chrétienté ton palais luciférien.
DOMINIS (se contenant) : C'est vrai, docteur, noble Mathias, j'ai résisté aux empiétements de Rome, mais pas par orgueil. Je n'ai pas pu être leur serviteur et un complice dans le pillage et l'oppression...
DR MATHIAS : C'est toi l'oppresseur, sans pareil ! Tu as attaqué le droit du chapitre, tu as attaqué le droit des nobles, attaqué les vœux sacrés, attaqué tout ce qui a protégé la Croatie à travers les siècles.
DOMINIS : J'ai porté la mitre du métropolitain croate. Si vous, les nobles, aviez voulu la restauration du royaume d'autrefois, vous vous seriez rangés à mes côtés. Mais vous, les nobles, tout comme le chapitre, n'avez fait que protéger vos privilèges face aux ouvriers et aux paysans.
DR MATHIAS : Nous sommes les gardiens d'un nom et d'un sang antiques. Et cette racaille sans nom gaspillerait jusqu'au bout cette reliquiae reliquiarum. En tant que seigneur, ton devoir était de te tenir à nos côtés, la noblesse croate, au côté du roi hungaro-croate. Or tu as conspiré avec Venise, avec la citoyenneté traîtresse, avec les rustres...
LA SUITE DES NOBLES : Réformateur !... Destructeur de l'ordre ancien !... Il a excité les bourgeois contre nous, les seigneurs... Vassal de Venise !
Face à la furie des nobles bondit tout aussi furieux le frère Ivan avec un bâton levé, et le bruit fait accourir les serviteurs depuis le couloir.
IVAN : Les traîtres... c'est vous ! Vous avez comploté avec les jésuites contre le métropolitain de Croatie.
DR MATHIAS : C'est nous qui l'avons choisi, nous, le grand Conseil et le chapitre... Et nous le désavouons pour toujours.
IVAN : Vous... infâmes !
DR MATHIAS : C'est lui qui est infâme à résider dans la capitale des rois croates. Ceci est la dernière forteresse contre l'invasion turque.
LA SUITE DES NOBLES : Nous voulons un croisé solide pour chef religieux !... Nous partirons en une nouvelle campagne contre le Sandjak... Il n'est pas avec nous.
DOMINIS (amèrement) : Peut-être ne suis-je vraiment pas avec vous...
IVAN : Résiste, primat ! Personne d'autre que toi ne va engager ce peuple dans les profondeurs des temps nouveaux. (Avec furie le bâton levé contre les nobles). Parasites ! Moisissure sur l'arbre du peuple ! Nous vous chasserons d'ici !
Les nobles se retirent devant la menace du prêtre et les serviteurs de l'archevêque, dans des insultes fusant des deux côtés.
MATEO : Les jésuites et le parti capitulaire et nobiliaire incitent à l'émeute contre toi, Excellence. Certains feuillets se répandent dans la ville et aux alentours.
CAPOGROSSO : C'est une honte. Ils te reprochent l'impiété, la débauche...
IVAN : Le peuple se souvient que tu es resté à ses côtés dans les moments les plus durs, pendant l'épidémie de peste. Ton idée l'emporte.
DOMINIS (mornement) : L'idée est ici une voile noire.
MATEO : Que veux-tu, Excellence ?
DOMINIS : Si je ne brûle pas ce manuscrit, que me reste-t-il d'autre que la fuite ?
MATEO : Sauve ton œuvre ! Tu es le dépositaire d'un monde qui sommeille encore dans ces feuilles.
IVAN : Souviens-toi du cri de Luther : je me tiens ici et je ne peux faire autrement. Tu es le seul ici, primat, pour relever la Croatie éclatée et aveuglée.
DOMINIS : Derrière moi ne se tiennent pas les croix allemandes, il n'y a pas le Reichstag, il n'y a pas les villes riches, il n'y a même pas un peuple au nom reconnu. Dans ce lieu venteux, le drapeau est la voile de la mort.
IVAN : Tu abaisseras toi-même ton étendard ?
DOMINIS : Non ! La lutte que j'ai entamée ne peut pas se décider non plus sur cette frontière turque.
IVAN : Si tu ne t'enracines pas ici, maître, où t'acceptera-t-on ?
MATEO : Le roi anglais t'a convié... Partons à Londres, Excellence ! Là, on te traitera royalement.
CAPOGROSSO : Tant que la tempête ne s'apaise pas ici, réfugie-toi plutôt à Venise !
DOMINIS : Ah, cette seigneurie vénitienne... si ambiguë ! Si elle ne me livre pas au Saint-Office, elle m'isolera comme un lépreux, pour avoir la paix avec le pape.
MATEO : À Londres, ils auraient publié l'œuvre de ta vie, Illustrissime. L'érudit n'a pas sa place ici.
DOMINIS : Il m'est difficile de partir dans la vieillesse pour un pays lointain et inconnu. J'avais l'intention de me retirer dans mon oliveraie, avec un livre et les bavardages. Mais ce cri d'un long silence, la manifestation des vassaux du pape, est plus puissant que les rhumatismes, la fatigue, le désir de repos. Que tous ceux qui marchent dans les pas du Messie entendent parler de la république ecclésiastique. Je vais partir. (Il se met en marche dans l'obscurité).
SCAGLIA (il surgit devant Dominis) : Arrête ! À ce stade, chaque pas doit être mesuré. Tu n'as encore rien fait d'irrévocable. Mais lorsque tu franchiras cette limite...
DOMINIS : La transgression qui n'a pas été achevée est la pire. Le mot qui n'est pas formulé est le plus bruyant. Celui qui s'est avancé une fois jusqu'à la limite doit aller plus loin malgré tout...
SCAGLIA : Les hommes n'iront pas aussi loin que tu voudrais les mener. Tu iras seul dans un pays inconnu, seul, et réprouvé, et la peste des anathèmes se propagera dans tes vieux lieux de résidence. Tes amis seront placés en quarantaine, les samaritains fouettés par des mains généreuses, les indécis renforcés dans la malédiction contre toi, les impartiaux contraints de te juger. Et ton livre ne sera pas lu.
DOMINIS : Chacune de ses lettres flambe en moi. Je suis le flambeau sur les frontières obscures.
SCAGLIA : Oui, le flambeau, maudit, le flambeau qui allumera d'autres bûchers.
DOMINIS : Tant mieux ! Tant mieux si c'est la seule façon de me faire entendre.
SCAGLIA : Et qu'est-ce qui sera entendu, écrivain enragé ? Ton livre ? Jamais ! Le Saint-Office enverra au bûcher tes disciples, les serviteurs de Lucifer, qui épouvanteront la multitude. Tu ne peux annoncer quelque chose que depuis la chaire de l'Église, tu ne peux corriger quelque chose qu'à l'intérieur des murs de l'Église, mais jamais de l'extérieur, jamais sous le cachet de l'excommunication. Et c'est pourquoi, fuyard, retourne-toi et rentre avec moi, dans une marche de patient amendement ! Reviens dans le cercle des choses connues ! Reviens...
FIDES (elle saisit Scaglia depuis l'obscurité) : Tu lui parles en vain, Monseigneur. En vain ! Il sacrifiera tout à son livre. Et la patrie, et les amis, et l'aimée.
SCAGLIA : Ce maudit livre !
FIDES : Sa seule passion profonde ! Laisse-le, Monseigneur ! Laissons l'auteur à sa frénésie ! (Elle attire Scaglia dans l'ombre).
DOMINIS (il écoute les coups de la machine à imprimer) : Les coups de la machine à imprimer... Enfin ! Enfin dans cette marée de mensonges et de mystères flottera la voile blanche de la vérité. Voilà le premier coup, bientôt le second viendra puis le troisième, jusqu'à la décomposition de ces tours d'illusions et de brillants ! J'ai les armes avec lesquelles l'esprit humain peut combattre, je les ai enfin !
À la cour de James 1er en l'année 1621.
Le roi sénile joue avec George Villiers, duc de Buckingham, un jeune homme beau et richement vêtu.
JAMES : Mon mignon... Mon mignon.
LE DUC : Sir ! Ils viennent. La reine tchèque, l'envoyé espagnol, l'archevêque de Canterbury.
JAMES : Oh... Ils nous dérangent sans cesse.
LE DUC : D'urgentes affaires européennes.
JAMES : Ne peuvent-ils pas se calmer une bonne fois de l'autre côté de la Manche ? Des démons ont assailli le reste du monde. (Avec peur). Le diable même !
James se prépare avec le duc à l'accueil. Elisabeth, une femme jeune et altière, arrive, accompagnée de son frère Charles et de George Abbot, l'archevêque de Canterbury, à l'allure distinguée, puis ensuite Diego Gondomar, et ultimement apparaît aussi Dominis dans l'habit du doyen de Windsor.
ELISABETH : Père ! Vois finalement notre situation ! La capitale de Friedrich, notre Heidelberg, est prête de tomber. Les traîtres bavarois avancent d'un côté, les Espagnols de l'autre. Vas-tu donc permettre, Père, que les papistes triomphent ?
JAMES : Je suis usé. J'ai besoin d'argent. Et de paix... (Irrité). Pourquoi Friedrich a-t-il pris la couronne tchèque malgré le droit antique de l'empereur germain ? Ce n'est pas moi qui vous l'ai conseillé. Et à présent, il faudrait que je parte en guerre à cause de quelque Bohémien ?
ELISABETH : Tu permettrais, Père, que l'empereur Ferdinand et le roi Philippe chassent ta fille et ton gendre ?
ABBOT : La victoire des Habsbourg sur l'union protestante menacerait même la Grande-Bretagne. Elisabeth, la reine tchèque, exprime la crainte de l'État anglais et de l'Église. Nous devons faire quelque chose, sir !
JAMES : Voilà, j'ai invité le comte Gondomar.
GONDOMAR (avec une profonde révérence) : Mon roi, Philippe IV, veut la paix tout comme Votre Excellence. L'alliance entre les deux maisons royales réglerait tous les problèmes. Seul même un authentique lien du sang est le plus fort.
JAMES : Certainement, le sang royal !
GONDOMAR : Nous avons déjà, Excellence, réfléchi au mariage du prince de Galles avec l'infante Marie-Anne.
JAMES : Oui ! C'est une garantie d'entente.
ABBOT : D'entente avec les jésuites de Madrid ? D'entente avec les Habsbourg ? Le souhait du parlement et de l'Église est que le prince Charles épouse une princesse protestante.
ELISABETH : Les papistes, les soldats de l'Antéchrist, ont fait irruption dans notre cour à Prague, dévasté nos possessions en Tchéquie, déshonoré l'Église. Et à présent, ils avancent en direction de notre Heidelberg en incendiant, pendant et pillant. Père ! Ne vois-tu pas ce déchaînement infernal ?
JAMES : Tout cela peut s'arranger entre rois.
GONDOMAR : Assurément, l'alliance entre les Maisons Stuart et Habsbourg à Madrid arrêterait l'expédition impériale contre le prince Friedrich, votre gendre.
ABBOT : Comte, votre infante ne peut se marier que sous le consentement (ironiquement) du Saint-Père à Rome.
GONDOMAR : Le nouveau pape est plus accommodant que Paul V, il consentirait... (Il s'interrompt, pas vraiment assuré).
ABBOT : À quelles conditions ? Que le prince Charles devienne catholique ? (Gondomar se tait). Que de roi britannique il devienne un vassal ridicule du pape ?!
JAMES (offensé) : Le sang des rois d'Israël coule dans mes veines. L'évêque de Rome ne peut pas réfuter notre lien avec le Sauveur. Les rois sont les représentants de Dieu sur terre, en fait, ils sont des dieux eux-mêmes.
LE DUC : Entendez ! Lorsque le roi parle, c'est comme le rugissement d'un lion.
ELISABETH : Écoute, Père, l'archevêque de Canterbury, ton Église !
JAMES : C'est moi le chef de l'Église, moi ! C'est moi qui nomme les évêques. Moi, le divin ! (Une pause pénible dans la discussion).
GONDOMAR : L'épiscopat et les théologiens exagèrent les différences doctrinales. Cela ne fait qu'attiser les furies guerrières, comme l'a écrit l'illustrissime de Dominis. (Tous se tournent vers l'auteur). Vous avez longtemps servi le pape, n'est-ce pas ? Et à présent vous êtes ici tranquillement le doyen de Windsor, le conseiller du roi ?
DOMINIS : Si j'ai servi le pape, c'est du fait de ma naissance à Rab. Mais, j'ai décidé seul de servir le roi.
LE DUC : Une réponse sage !
ABBOT : Vous répondez avec amertume, doyen de Windsor. La Grande-Bretagne ne vous donnerait-elle pas assez ?
DOMINIS : Je suis en plus d'archevêque aussi primat, comme vous ici.
ABBOT : Primas terrae incognitae !
DOMINIS : Cette « terre inconnue » fut un royaume avant...
ABBOT : Avant ? Dites donc ! Pourquoi êtes-vous venu en Angleterre ?
DOMINIS : Vous savez, métropolitain. Premièrement, pour publier mon livre.
ABBOT : Puis ?
JAMES : Ne vous l'ai-je pas consenti, doyen ?
DOMINIS : Oui, bienveillant souverain !
ABBOT : Et cependant, vous êtes mécontent. Vous n'en avez jamais assez !
GONDOMAR : De Dominis a annoncé son œuvre avec des espoirs évangéliques. Et, Illustrissime, votre « De Republica ecclesiastica » a-t-elle changé ici quoi que ce soit, a-t-elle déplacé la moindre borne frontalière en Europe ?
DOMINIS : Certains l'ont lu. Un petit groupe de latinistes.
JAMES (avec doute) : Que voulez-vous changer ?
DOMINIS : Quelque peu...
JAMES : Vous êtes ici un étranger. Un étranger ! Et laissez les choses comme vous les avez trouvées ! (Plus doux) : Soyez content ! Il suffit que moi j'ai lu votre livre, moi et mes évêques.
GONDOMAR : S'ils l'ont fait.
ABBOT : Si nous l'avons fait ?!
GONDOMAR : Si vous l'avez fait, ce en quoi je ne doute pas, alors vous avez dû déterminer votre position envers le premier chapitre du livre, dans lequel l'Église romaine est désignée comme une monarchie avec le pape comme monarque.
LE DUC : Le pape, un monarque ?
GONDOMAR : Seulement sans héritiers, duc de Buckingham. Moi, en tant que laïc, je n'ai pas compris s'il s'agissait là d'une louange ou d'un outrage.
JAMES (avec la passion d'un théologien) : Évidemment ! Si c'était une monarchie, ce serait une louange ; mais, s'il n'existe pas de lignée héréditaire, elle est illégale et elle disparaîtra.
GONDOMAR (médisant) : Est-ce votre interprétation, homme de lettres ?
DOMINIS : En écrivant cela à Split, je n'aurais jamais supposé que je recevrais une telle interprétation royale.
JAMES : Très bien !
GONDOMAR : C'est ambigu. Selon mon avis, de Dominis a voulu en tant que légiste de Venise séparer l'Église de l'État. Bene vixit, qui bene latuit.
JAMES : Comte, qui se cache là ?
GONDOMAR : Il me semble, votre Excellence, que sous le manteau de doyen de Windsor dépasse la queue du lion vénitien. (Murmures).
DOMINIS : Sir ! Je n'ai jamais caché ma conviction que le rapprochement de l'Angleterre avec la république de Venise et les autres cours catholiques modérées affaiblirait les furies religieuses. Les gens éclairés commencent partout à réaliser la nécessité d'un accord...
JAMES : Voilà, nous parlons ici avec le représentant espagnol.
DOMINIS : La Maison des Habsbourg à Madrid, dans l'ombre de l'Inquisition jésuitique, serait-ce là la voie britannique ?
JAMES (durement alentours) : Oui, selon mon jugement !
ABBOT : Les Espagnols sont nos ennemis séculaires.
ELISABETH : Les alliés et les cousins de l'empereur allemand ! Les serviteurs de l'Antéchrist !
JAMES : Doucement ! Doucement ! Vous pouvez injurier l'évêque à Rome et l'usurpateur, mais pas le roi d'Espagne ! Davantage de respect ! Les rois sont les descendants du Sauveur. Parmi nous, les rois, tout peut se mener à bonne fin.
LE DUC : L'infante apporte une riche dot. L'or de l'Amérique ! Je partirai avec le prince Charles à Madrid chercher Marie-Anne. Hourra !
ABBOT : Duc ! Vous soulèverez le parlement contre l'héritier du trône !
JAMES : Comte, présentez au roi Philippe et à l'infante mes meilleurs vœux ! Mieux vaut un mariage que la guerre. Que la paix règne enfin entre nos maisons. Et je dissoudrai ce parlement bavard et désobéissant.
Le roi part, et les autres à sa suite, sauf Gondomar qui se glisse l'air pensif vers Marco Antonio.
GONDOMAR : Métropolitain, ne m'avez-vous pas mal compris ?
DOMINIS : C'était suffisamment flagrant. Vous me creusez une fosse à la cour.
GONDOMAR : Par Dieu ! Je m'estime bien meilleur médiateur que vous.
DOMINIS : Moi... médiateur ?
GONDOMAR : Ne jouissez-vous pas d'une grâce particulière du roi d'Angleterre ? Et n'êtes-vous pas considéré à Rome ?
DOMINIS : Oui, mon nom est là-bas le premier à l'Index.
GONDOMAR : Vous voyez les choses trop en noir.
DOMINIS : Plus maintenant.
GONDOMAR : Plus maintenant ? (Il sautille joyeusement) Le patrimoine est d'autant plus cher que nous en sommes éloignés, n'est-ce pas ?
DOMINIS : Particulièrement dans cette cour (il se corrige), dans l'épais brouillard londonien.
GONDOMAR : Le ciel n'est nulle part comme sur notre Méditerranée, même si le Saint-Père s'y assoit aussi.
DOMINIS : Nulle part, nulle part. Depuis que j'ai traversé la Manche, je ne me suis pas réchauffé.
GONDOMAR : Moi aussi, je suis gelé jusqu'aux os. Cette maudite humidité !
DOMINIS : Et elle se couche même au lit avec nous.
GONDOMAR : Les concubines sont ici des compresses froides.
DOMINIS : Que je voie encore une fois le soleil avant que cette étreinte m'ensevelisse !
GONDOMAR : Mais rentrez, métropolitain, dans la Rome ensoleillée.
DOMINIS : Vous plaisantez, comte ?
GONDOMAR : Pas le moins du monde ! Sachez, métropolitain, que je suis mandaté par le Saint-Siège pour travailler à votre retour.
DOMINIS : Rome aurait peur de ma présence ici ?
GONDOMAR : Vous vous êtes engagé sur la voie d'éclairer le protestantisme...
DOMINIS (avec incertitude) : Pas pour cela, pas d'abord...
GONDOMAR : Soyez diplomate, je vous prie ! À ce titre, vous pouvez faire le plus. Le nouveau pape est votre vieil ami, et le roi anglais a besoin du consentement papal pour le mariage de Charles avec l'infante.
DOMINIS : En fait, j'ai essayé de réconcilier l'Église anglicane avec l'Église catholique romaine.
GONDOMAR : Voilà, vous avez servi ici aussi l'Église à votre manière. Couronnez maintenant ce service ! Un rapprochement du pape et du roi anglais, un accord entre l'empereur et l'union protestante, l'écartement des effets du schisme, une paix durable... cela serait la plus grande œuvre de notre temps. Les prétendants vont chercher l'infante. Et si l'inquisiteur à Madrid réclame pour dot votre extradition ? Faites-en au plus tôt votre nouvelle mission diplomatique ! Je suis autorisé à vous garantir que vous serez payé à Rome douze mille écus pro anno, en plus de vos revenus réguliers pour votre nouveau et honorable siège. Dès que vous vous décidez, nous organiserons rapidement tout pour le voyage. Au revoir, prédestiné cardinal !
Gondomar s'éclipse abandonnant Dominis dans la plus grande confusion. L'éclairage de la cour s'éteint lentement. Le fugitif pensif demeure seul dans une gerbe de rayons de lumière. Une inclination au rêve. Fides s'approche dans un élégant habit de nonne.
FIDES : Perfide... (Plus fort) Perfide !
DOMINIS : C'est toi qui dis cela, toi qui m'as trahi dès notre premier lit.
FIDES : J'ai donné moins au saint ordre qu'à toi, Marco. Je leur ai donné des miettes, juste assez pour qu'ils ne me dévorent pas.
DOMINIS : Tu m'as trompé, tu as trompé les jésuites, tu es toute entière une imposture !
FIDES : Et comment aurais-je pu m'en tirer autrement ?
DOMINIS : Moi, je refuse de vivre faussement.
FIDES : Tu refuses ? Alors pourquoi as-tu rougi lorsque le comte Gondomar t'a soufflé : pour vivre heureux, vivons caché ! Tu t'engraisses comme un chien enchaîné à ce stupide roi théocratique.
DOMINIS : Il n'y avait pas le choix. J'ai dû fuir des États de l'Église.
FIDES : Tu n'étais pas obligé. C'est ton livre qui t'y a poussé. Pour le publier, tu as piétiné ton pays natal et tes sentiments. Et qu'as-tu gagné de ta bâtardise, auteur impétueux ?
DOMINIS : Cela percera, au cours du temps.
FIDES : Quand nous serons tous deux sous la terre ?
DOMINIS : Tant pis !
FIDES : Folie ! À quoi cela te servira-t-il ? Prends la vie jusqu'à la dernière gorgée ! Toi, Lucifer, tu relèves de la papauté même quand tu te rebiffes. Comme tu étais magnifique dans le manteau d'archevêque ! Et à peine as-tu mis la coiffe rouge, et dans le quadrige, hop... Et dans ce manteau du doyen de Windsor tu ressembles au penaud Ahasver. Et ton museau aussi s'est aigri.
DOMINIS : Si tu avais goûté leur bière... Les gorgées de l'émigration sont insipides.
FIDES : Nous insulter... cela t'était sucré ?
DOMINIS : J'ai avalé de travers ici chaque insulte. Je suis assis à la table royale en tant que treizième convive et je supporte les bavardages de cette médiocrité couronnée. J'ai séparé le pouvoir séculier de l'Église, mais cette laïcité devient tout autant sacrée, papale. Le pape comme roi ou le roi comme pape... quelle différence y a-t-il ?
FIDES : Après cette reconnaissance, Marco, cela te sera plus facile à la curie.
DOMINIS : Tu t'incrustes ici ou là, qui se soucie de ce que tu écris, de ce que tu penses.
FIDES : Là-bas se trouve la base. Le soleil !
DOMINIS : La base ! Le soleil !
FIDES : Pourquoi hésites-tu encore ?
DOMINIS : Je ne sais pas ce que tu m'apportes.
FIDES : Vieillard suspicieux !
DOMINIS : Sans raison, peut-être ?
FIDES : Tu es irraisonnable. (Elle le prend dans ses bras).
DOMINIS : Chaque fois que j'ai approché ma bouche, blanche amphore, j'ai goûté si ce n'était du poison. Et pourtant il y avait de la douceur dans ce frisson.
FIDES : Sans mystère, reconnais-le enfin, tout devient insipide.
DOMINIS : Le frisson du péché a magnifié notre désir.
FIDES : Et tu ne sais toujours pas ce que je t'apporte ?
DOMINIS : Tu apportes un arc-en-ciel coloré dans un éther pluvieux, le parfum du vent du sud, des angoisses de péchés. (L'obscurité s'installe).
FIDES : Viens avec moi ! (Elle disparaît) Viens ! Viens...
L'obscurité. Une pause.
Une rumeur. Des voix se rapprochent et des jurons se distinguent dans certaines. Dans la demi-pénombre, Dominis tend l'oreille.
LES VOIX DU DEHORS : Espion du pape !... Ils veulent nous catholiciser... Papiste inavoué !... Il a abusé le roi... Dans la Tour, le métropolitain catholique !... Sur le billot !... Sur le billot...
Les voix baissent. La lumière. Dominis est assis et inquiet tandis que viennent à lui les deux disciples excités, Mateo en habit distingué, tout à fait séculier, et Ivan d'une simplicité ascétique comme auparavant, mais sans soutane monastique. De nouveau, la rumeur des voix depuis l'extérieur.
MATEO (agité et arrogant) : Misérable idée de retour ! Elle a soulevé les démons des ténèbres de l'Église. Les conquérants du monde partent d'ici pour l'Inde, l'Afrique, l'Amérique. Une expédition missionnaire à Rome... un pur anachronisme !
IVAN : Un anachronisme ?! Alors que des fureurs guerrières dévorent l'Europe ?
MATEO : Après ces incendies et ces massacres, au nom de la vraie foi, les hommes se boucheront les oreilles devant n'importe quel rédempteur. Illustrissime, ne serait-il pas plus opportun que vous retourniez à vos recherches naturelles ? Les Anglais intelligents ont favorablement écouté ce que vous avez enseigné sur les forces attractives dans l'univers, sur les causes du flux et du reflux des marées. La nouvelle science fera tomber avec le temps la forteresse du mysticisme.
IVAN : Que peut faire une poignée de savants ? La bataille cruciale de notre temps est... de conquérir l'Église.
MATEO : Votre ardeur réformatrice chauffera dans l'Église seulement l'esprit de haine et redressera la résistance conservatrice. Ce qui se putréfie, laissons-le s'effondrer ! Illustrissime, si vous renonciez à votre retour à Rome, cette agitation retomberait.
IVAN : D'aucune façon !
MATEO (ironiquement) : Toi, Ivan, tu te rendrais à Rome pour un rendez-vous avec les jésuites ?
IVAN : Maître ! Partons en Croatie septentrionale !
DOMINIS (avec un soudain espoir) : En Croatie septentrionale... auprès du prince Zrinski, ce vieil ami.
IVAN : De là, métropolitain croate, tu iras avec ton peuple à Split, dans la capitale...
MATEO : Assez de divagations ! Il vaut mieux placer immédiatement sa tête sur le billot plutôt que continuer ainsi à rêver ! C'est le dernier moment pour que nous nous épargnions un Golgotha inutile. Que le maître accepte une chaire de philosophie naturelle ! Cela lui fournira une assise plus solide que celle d'une cathèdre.
DES VOIX DU DEHORS : Le pape antéchrist !... Les papistes ont trahi la chrétienté... Traîtres romains !... Châtrons les puceaux puants !... Guerre au pape et aux Habsbourg !... Sus aux papistes !... Mort aux mercenaires de l'empereur !... En guerre !... En guerre...
DOMINIS (prêtant l'oreille) : L'apocalypse européenne... Des cavaliers sans tête chargent. Ils portent la division, la haine, la cupidité. Je vois des pèlerinages sous les drapeaux, des processions pénitentielles, des légions de chevaliers, des troupes de brigands ; je vois la dévastation, les incendies, les massacres. Et je ne peux pas demeurer dans un asile royal.
IVAN : Nous rentrons ? À Rome ?
DOMINIS : La clé de la délivrance se trouve à Rome.
IVAN : Tu vas capituler, Excellence ?
DOMINIS : Dans ce pays divisé, le voyageur doit s'acquitter auprès de toutes les forces armées. Moi aussi, je payerai les passages frontaliers...
IVAN : Comment ?!
DOMINIS : Me consumant de honte, avec les dernières pièces d'or de mon arrogance.
IVAN : Et la renonciation à votre livre ?
DOMINIS : Je suis le plus cohérent là où vous me reprochez le recul ou l'inconstance. Je dois poursuivre sur le chemin de croix qui m'a emporté dans ma retraite à Split. Devant moi sont des routes occupées, des ponts incendiés, des embuscades dans les fourrés, les fronts de la guerre et la furie, la sainte furie ! Je dois traverser tout cela, je le dois. Je me suis emparé de cette croix, il y a longtemps. Depuis que j'ai écrit ma vérité...
L'obscurité.
Marco Antonio se tient devant une commission de douze évêques et doyens ; l'archevêque Abbot parle au nom du Collège de l'église anglicane.
ABBOT : Marco Antonio ! Le seize janvier en cette année du Seigneur mille-six-cent-vingt-deux, tu as envoyé au roi le plus puissant une épître intitulée « De Pace Religionibus », dans laquelle tu exposes les raisons de ton départ pour Rome. Ton objectif est, premièrement, écris-tu, de réconcilier les religions et, deuxièmement, à titre personnel, de finir ta vieillesse parmi tes neveux et tes nièces, exact ?
DOMINIS : Exact, archevêque de Canterbury.
ABBOT (au collège) : Les neveux et les nièces, cela désigne en italien les enfants de l'évêque. L'épître est signée : Archiepiscopus Spalatensis, exact, doyen de Windsor ?
DOMINIS : C'est la coutume que nous nous servions du titre le plus haut.
ABBOT : Et le titre de Windsor te paraissait trop bas et dénué de valeur ?
DOMINIS : Je suis archevêque et primat...
ABBOT : Catholique ! Romain ! (Une rumeur) Marco Antonio ! Tu as entretenu une correspondance avec le pape romain, Grégoire XV, sans l'autorisation du roi d'Angleterre. C'est de la haute trahison, doyen ! (Rumeur) De la haute trahison !
DOMINIS : J'ai cru tout d'abord que c'était un tour de Gondomar, un jeu avec moi. Et je lui ai renvoyé les lettres à Rome. Mais, lorsque j'ai été convaincu que ces messages provenaient vraiment du cardinal Mellina et du pape, j'ai avisé son Excellence.
Une rumeur. On discerne un cri : Une réponse rusée !
ABBOT : Ton péché originel est l'inconstance. Tout d'abord, tu t'es rebellé contre le pape, l'antéchrist, afin d'être ici honoré par le roi d'Angleterre et l'Église. Et à présent, doyen de Windsor, tu te rebelles contre nous pour grimper encore plus haut dans la hiérarchie romaine.
DOMINIS : Vous me reprochez à tort de l'inconstance. Pour moi, il s'agit de la même religion, ici comme là-bas.
ABBOT : Tu saliras l'Église anglicane à Rome, tout comme tu as ici insulté Paul le cinquième et les cardinaux.
DOMINIS : Ne craignez rien !
ABBOT : Nous ne craignons rien. Mais, étranger, tu as fureté partout.
LES VOIX DES JUGES : Nos universités t'ont accueilli comme si tu étais une université à toi seul... Tu as édifié ton palais de libre penseur dans l'Église anglicane... Tu as ridiculisé le puritanisme... Tu nous cracheras dessus à Rome.
DOMINIS : Croyez-moi ! Même si ma vie est menacée, je témoignerai devant le pape et l'assemblée des cardinaux que l'Église anglicane est une authentique et véritable Église du Christ.
ABBOT : Qui peut te croire ? Que tu vas défendre les protestants devant le pape et l'Inquisition ?!
DOMINIS : Vous préjugez que je puisse vous trahir à Rome ?
ABBOT : Qui de vous le croit, honorables évêques et doyens ? (Silence) Personne ? Personne ? Infidèle, personne ne veut se fier à ta parole. Entends la sentence !
DOMINIS : Vous avez une sentence toute faite, honorables prélats, quoi que je dise ici.
ABBOT : Nous te connaissons suffisamment, étranger. Par décision du roi et les conclusions de cette commission, premièrement, la dignité de doyen de Windsor t'est retirée. (Ils lui retirent son manteau de doyen). Et deuxièmement, tu as un délai de vingt jours pour quitter la Grande-Bretagne.
DOMINIS : Je vous ai suppliés de me laisser rentrer chez moi, j'ai supplié pour défendre la réconciliation entre les Églises anglicane et romaine, et vous me déshonorez et persécutez. Pourquoi ? Pourquoi ?! Seulement pour priver mes propos de toute crédibilité. Pour qu'ils ne me croient pas là-bas.
ABBOT : Nous n'avons pas besoin d'un représentant à Rome.
LES VOIX DES JUGES : Il n'y a pas de réconciliation avec les catholiques romains... Nous enverrons notre puissante flotte sur l'usurpateur... Marco Antonio, négocie avec le diable !... Pars d'ici, défroqué !... Va-t'en !
DOMINIS : Je pars. Je pars aussi avec votre disgrâce. Je pars plénipotentiaire de ma souffrance humaine et des voix de la raison. Je pars, malgré vous, malgré tout !
Cortile di teatro. Scaglia se tient devant Dominis fiévreux. À l'entrée du caveau, le commissaire de l'office attend avec des soldats. À l'opposé du cardinal solennellement vêtu et d'une froide supériorité se trouve Dominis encore plus meurtri, avec des signes de troubles mentaux.
SCAGLIA : Tu retournes à Rome ? En tant que conciliateur ? Tu as voulu... ?
DOMINIS : Éteindre... éteindre le feu religieux infernal...
SCAGLIA : Et tu as atteint Sant'Angelo. C'est la position intermédiaire.
DOMINIS : S'il y avait de la générosité en vous...
SCAGLIA : Nous te laisserions jouer au conciliateur, encourager d'autres renégats ?
DOMINIS : L'Europe gît piétinée... La cavalerie sous les étendards religieux. Ils chargent. Ils écrasent ! Ils écrasent tout... À travers les fumées de l'incendie m'est apparue...
SCAGLIA : Pax mundi ?
DOMINIS : La paix du monde ! Ce message s'est percé un chemin au travers des catacombes, les salles de torture impériales.
LE COMMISSAIRE (sur le côté) : Hérétique obstiné ! Il faut utiliser la torture.
SCAGLIA : Les saints sont morts. Rome est construite sur leurs ossements. Une seule foi, un seul ordre détient cet héritage.
DOMINIS (dans une fièvre de plus en plus forte) : Une telle Église... maîtresse des âmes et des propriétés humaines... engendre l'esclavage, la révolte, la scission...
SCAGLIA : Qu'il y ait scission, usurpateur du trône, qu'il y ait schisme et anathèmes !
DOMINIS : Qu'il y ait ?
SCAGLIA : Je te le dirai après tout. Ton attaque contre la papauté m'a rendu la foi. En fait, ce qui était en moi auparavant n'était pas la foi mais une innocente indifférence. Ton hérésie dévoile notre pensée. Nous voici ! Et nous resterons tels !
DOMINIS : Vous restez dans une forteresse avec une soldatesque enivrée, dans des geôles-tombeaux...
SCAGLIA : Tu as trouvé la clé de l'Arcadie, écrivain ? Que sur les ruines de la papauté tu abandonnes au peuple son droit et sa requête ? Et comment garantis-tu que dans tes communes ne s'exercera pas une tyrannie plus fanatique encore ? Il vaut mieux pourtant un pape que cent d'entre eux et la plèbe. Derrière tous tes dix livres se trouve l'insurrection d'une province barbare. Cela est la racine de ton dilemme. La racine de tout !
DOMINIS : Scaglia, veux-tu soumettre ces provinces dévastées aux provinciaux du saint ordre ? Vous les Romains ! Durs... N'entendez-vous pas la prophétie dans l'air ? Une voix sur la chute de la nouvelle Babylone ! Babylone où une même langue pour tous les hommes fut oubliée...
LE COMMISSAIRE : La torture !
SCAGLIA : Pour Rome, ta chrétienté serait vouée à l'auto-destruction, en même temps que ton esprit universel.
DOMINIS : Donc, il n'y a pas de paix entre vous et nous ?
SCAGLIA : Si ! La Pax Romana !
DOMINIS : Allez-vous préserver votre paix telle quelle ?
SCAGLIA (il désigne le dernier étage du palais) : Là-haut, dans la salle, Urbain VIII délibère sur la fonderie de canons. Il est justement resté un espace dans cette citadelle pour une fonderie de canons. Ainsi, Sant'Angelo se confirmera comme un parfait bastion du Saint-Siège.
DOMINIS (il regarde éperdument à l'étage, fiévreusement) : Des canons ? Des canons... le dernier rempart de la foi ? Il y a longtemps... Il y a longtemps que cela a commencé avec cette fonderie. Jusqu'où encore... Jusqu'où ?!
LE COMMISSAIRE : La torture ! La torture !
SCAGLIA : Un homme ne peut rien dire de plus ici. Marco Antonio, je dois te livrer à eux. (Aux soldats). Messieurs les chiens ! Accomplissez votre travail !
LE COMMISSAIRE (il pousse Mateo en soutane de pénitent) : Toi d'abord, pénitent !
Les soldats empoignent Dominis agonisant et le traînent dans le caveau, et à leur suite titube Mateo un fouet en mains.
SCAGLIA (avec peine) : Le roi des hommes. (En direction des fenêtres à l'étage). Urbain le huitième ! Ta volonté ! Ta sainteté... (Aux soldats du palais) : Appelez Sa Sainteté ! Sa Sainteté...
LE COMMISSAIRE (au-dessus de Dominis qui s'est effondré) : La fièvre ! La fièvre ! Il meurt. Il meurt...
SCAGLIA (avec soulagement) : La mort ! La mort bénie et salvatrice.
Fides arrive et s'agenouille au-dessus du mourant.
L'alarme, des pas, des rumeurs. Urbain VIII sort du palais avec le général jésuite, le capitaine du Castello et son escorte.
LE COMMISSAIRE : Saint-Père ! Il meurt ! L'hérétique... meurt.
URBAIN VIII : Chiens négligents !
LE COMMISSAIRE : La fièvre, Saint-Père.
SCAGLIA (au pape, vindicatif) : La mort suspend notre jeu. La mort : la fin de toutes nos transfigurations !
URBAIN VIII : Non, Éminence ! La procédure suit son cours, selon l'instruction de l'Inquisition.
LE COMMISSAIRE : Je comprends, Saint-Père ! La bière avec le cadavre sera transportée dans notre église, Sainte-Marie. Là-bas, je convoquerai l'assemblée de l'Inquisition afin qu'elle prononce la sentence.
MUTIUS (avec un léger mépris) : Le brûler vif aurait été assurément plus impressionnant. Mais comme cela aussi le bûcher sur le Campo de' Fiori révélera triomphalement la victoire de l'Église.
LE COMMISSAIRE : Le triomphal début de ton pontificat, Urbain le huitième !
URBAIN VIII (sinistre, à Scaglia) : Nous aussi, nous devons contribuer en quelque chose à cette guerre religieuse, Éminence. Réfléchis ! N'est-ce pas là la moindre victime ? (Il se retire dans le palais avec son escorte).
LE COMMISSAIRE (il fourre avec satisfaction les écrits de Dominis dans un sac) : Les gribouillages hérétiques ! Allez, cela va brûler ! La lumière brillera au loin ! Viatique du diable au mort !
MATEO (il supplie Scaglia) : Père cardinal ! Empêche cela ! Préserve son héritage !
SCAGLIA (il fait un pas vers le commissaire puis s'arrête) : À quoi bon ? Une telle connaissance messianique ne fait qu'alimenter le feu qui flambe à travers les siècles.
Traduit par © Nicolas RALJEVIĆ en juin 2015